A propos de "Jalons pour la psychothérapie"


«Planned Psychotherapy» a été édité pour la première fois par le Gestalt-Journal en 1979. Cet article a été considéré par Laura PERLS comme l'une des meilleures contributions écrites de Frederick PERLS à la Gestalt-thérapie. Sa publication dans le Gestalt-Journal (vol II, n°2) est le fruit d'une révision de la part de Laura PERLS qui a apporté au manuscrit ses propres points de clarification et quelques notes.

Après avoir quitté l'Afrique du Sud à l'âge de 53 ans, Perls rejoint New-York, encouragé par Erich Fromm et Clara Thompson, tous deux membres de l'Ecole de Psychiatrie de Washington qui deviendra plus tard l'Institut de Psychanalyse William Alanson White. Cet institut, qui regroupait des psychanalystes néo-freudiens, adhérait aux théories de H. S. Sullivan et mettait l'accent sur les relations interpersonnelles. Le manuscrit présenté ici est en fait un discours prononcé au William Alanson White Institute vers 1946-47. N'ayant pu être y reconnu comme membre à part entière du fait de sa «mauvaise réputation», Perls ne fût associé à ce groupe que très brièvement. C'est en 1947, peu après l'arrivée de Laura, que Perls rencontre Paul Goodman et que naîtra de leur collaboration «Gestalt-therapy», publié en 1951. Et c'est en 1952, que Laura et Fritz créèrent, avec d'autres, le premier Institut de Gestalt-thérapie : le Gestalt Institute of New-York.

Nous trouvons dans ce texte historique, inédit en Français, bien des concepts fondamentaux de la Gestalt-thérapie : conscience et prise de conscience, orientation/manipulation, champ organisme/environnement, rapport figure/fond... et bien d'autres, bien que la référence à la théorie de la Gestalt-psychologie n'ait pas encore prêté son nom à cette psychothérapie en projet.

Nos remerciements vont à :

Joe Wysong, directeur du Gestalt Journal de New-York qui nous autorisé à traduire son édition de 1979,

Laura Perls elle-même qui, quelques semaines avant sa mort, en a autorisé l'édition française,

l'Attorney de F. S. Perls qui en a permis la publication,

l'Institut de Gestalt de Bordeaux qui avait procédé à toutes les démarches, traduit et déjà diffusé auprès de ses étudiants ce texte qu'il nous permet de vous offrir ici.

Jean-Marie ROBINE
directeur de l'Institut Français de Gestalt-thérapie


Jalons pour la psychothérapie

1946-1947

préparé et commenté par Laura Perls

traduit de l'américain par Brigitte Lapeyronnie


Mesdames et Messieurs, chacun de nous n'est que trop conscient d'être né à une époque aux contradictions multiples.

Jusqu'au XVIIIème siècle, une conception spiritualiste du monde, une idéologie religieuse étaient, à quelques exceptions près, considérées comme acquises.

Le XIXème siècle a vu la percée de l'approche matérialiste de la science et dans la mentalité d'un grand nombre d'individus. La satisfaction émotionnelle de l'approche religieuse a été remplacée par la gratification intellectuelle, le rationalisme, la prédiction et la sécurité, dans la limite des possibilités de prévision. La science a remporté triomphe sur triomphe par sa méthode analytique, en désintégrant le monde en particules et en figures arithmétiques, mais une synthèse est difficilement allée au-delà de la création d'une société des nations et de préparations de succédanés chimiques.

Nous souffrons, probablement plus qu'à toute autre époque depuis l'existence de ce monde, de doutes et de contradictions, du dualisme corps-esprit, âme et matière, théisme et matérialisme. Même la terminologie psychiatrique la plus avancée parle de médecine psychosomatique, comme si des choses comme le soma et la psyché existaient vraiment. Nous n'avons pas encore appris, en général, à considérer de tels dualismes comme des dualités plutôt que des contradictions. Non, au lieu d'une mentalité intégrée, nous avons une perspective qui est un mélange de spiritualisme et de matérialisme.

L'âge mécanique a rompu avec la tradition selon laquelle l'âme est une émanation qui entre et quitte le corps à la naissance, à la mort ou à d'autres rares occasions mystiques. L'âme et l'esprit ont changé pour devenir sécrétions du cerveau et sécrétions glandulaires, et un certain nombre d'hypothèses comme les théories sur l'association et l'arc réflexe, bien que se contredisant l'une-l'autre, ont satisfait le «bon mécanicien». On pourrait couper le cerveau et la moelle épinière en sections et morceaux, mais on ne pourrait pas les intégrer, et on a fait la même chose avec ce que l'on appelle la psyché.

Trois concepts principaux ont caractérisé la mentalité mécaniciste au regard de la psychologie, soit :

-1- la psyché est identique à la conscience1

-2- l'esprit se compose de particules collées ensemble ; ses fonctions sont dictées par les lois de l'association.

-3- perception et action sont dépendantes l'une de l'autre grâce aux voies neuronales de l'arc réflexe.

L'incorrection de la première théorie a été prouvée par FREUD et est aujourd'hui acceptée par la majorité des scientifiques.

La seconde théorie est en train d'être lentement remplacée par la Gestalt psychologie. Même si la Gestalt théorie, comme telle, n'est pas encore acceptée, certains de ses aspects ont été favorablement accueillis, spécialement l'idée que l'organisme doit être considéré comme une Unité et réagit avec une Unité d'intention.2

La troisième théorie, cependant, la théorie de l'arc réflexe, s'est avérée d'une grande valeur pour la neurologie. Il n'est guère étonnant qu'elle soit si enracinée dans votre modèle de pensée que même un léger doute sur sa justesse éveillera en vous la même hostilité et la même dérision que celles que Freud a rencontré quand il publia au début ses idées révolutionnaires.

Ce soir, je ne peux pas entreprendre une discussion sur ce sujet, mais j'aimerais seulement dire que je ne crois pas, par exemple, que les rayons de lumière se propagent d'une façon mécanique dans le cerveau et y induisent une action motrice. Je préfère suivre le professeur Kurt GOLDSTEIN dans l'hypothèse selon laquelle il faudrait considérer le système sensori-moteur comme deux systèmes, à savoir respectivement un système sensoriel et un système moteur. J'aimerais ajouter personnellement que, bien qu'étroitement liés, ces deux systèmes sont les aspects organiques de l'orientation et de la manipulation. L'orientation -c'est à dire l'appareil sensoriel- et la manipulation -c'est à dire l'instrument moteur- sont toutes les deux dirigées de l'organisme vers l'environnement, il n'y a pas une qui va vers l'organisme et l'autre qui en sort. Si vous regardez les antennes d'un insecte ou l'aveugle marchant avec sa canne ou son chien, vous allez entrevoir rapidement l'approche de l'anti-arc-réflexe. En ayant ainsi rétabli les sens dans leur fonction de sens, alors, philosophies, sémantiques, théorisations et autres moyens d'orientation tombent facilement dans une conception Unitaire de la personnalité humaine.

La fonction intégrante du système nerveux humain réalise finalement un regard spécifique sur le monde, elle réalise une weltanschaung3. Une telle weltanschaung est la carte ou le canevas pour nos actions. Aussi, aussi longtemps que la conception du monde sera une conception magique, la psychothérapie sera faite avec des rites magiques. Nous voyons une telle pratique, par exemple, chez les scientistes chrétiens. Une conception moraliste du monde exige la destruction du Mal. L'orientation mécaniciste abordera les conflits internes avec du bromure, la confusion mentale avec le scalpel chirurgical : les écoles simplement psychologisantes tenteront d'enlever les complexes et les contradictions. «L'économiste sexuel» restaurera les fonctions de l'orgasme.

Cependant, à certains égards, beaucoup d'écoles de pensée semblent discerner, au moins en théorie, l'hypothèse selon laquelle le névrosé (et je m'en tiendrai à lui) est une personnalité clivée et dissociée et selon laquelle la cure doit être réalisée par une réintégration de la personnalité et de ses relations intra-personnelles.

En dépit de cet accord hypothétique, le suivi pratique est plutôt limité comme le montre l'hostilité et les querelles continuelles, ou pour parler dans le jargon freudien, le «transfert mutuel négatif».

Il y a plusieurs raisons à ce qu'à de rares exceptions, les psychothérapeutes aient gagné une intégration satisfaisante qui leur permette de repérer et d'éliminer les dissociations à l'intérieur d'eux-mêmes et chez les autres ; et il y a nombre de raisons à ce qu'une telle intégration de l'individu (et du mouvement psychothérapeutique en général) soit difficile à accomplir.

Il y a tout d'abord un certain nombre de difficultés linguistiques. En dépit du fait que le langage est l'outil de base du psychothérapeute4, il est admis dans beaucoup de cas que même si nous utilisons les mêmes mots pour les mêmes significations que la personne à qui nous avons affaire, nous jugeons cela suffisant pour définir ce que nous voulons dire, imaginant que des définitions simples puissent venir à bout de mode de pensée profondément fixés.

Si nous posons, ce qui semble être la théorie la plus simple, à savoir que la personnalité moderne européenne ou américaine est une personnalité clivée en fonctions délibérées et en fonctions spontanées, alors nous pouvons considérer la névrose comme étant simplement un état de vain compromis entre ces deux sortes de fonctions. En ayant ainsi une personnalité duelle, l'individu moderne a nécessairement aussi une mentalité et un langage dualistes. Il pense en terme de soma et psyché, bon et mauvais, Surmoi et Ça, esprit et nature, Eros et Thanatos, individu et société. Non, nous n'avons pas encore réalisé l'outil d'un langage Unitaire, d'un langage intégrateur. Nous voyons des dualismes là où il y a des dualités ou deux moitiés d'un seul et même tout, ou dans de nombreux cas comme celui de la personnalité humaine nous voyons des objets comme le corps ou l'esprit ou l'inconscient là où nous avons affaire plus simplement à différents aspects d'un organisme. Nous avons un corps au lieu d'en être un, nous avons un esprit ou des pensées au lieu d'être cet esprit ou le penseur. Vous savez tous que cette désapprobation de ses propres propriétés est spécialement prononcée dans le caractère obsessionnel, mais il existe dans notre mentalité à tous parce qu'après plusieurs milliers d'années d'existence et de mentalité dissociées, nous ne pouvons pas revenir au temps d'HERACLITE. Nous avons à forger de nouveaux outils linguistiques appropriés à notre situation culturelle si jamais nous pouvons espérer vaincre la dissociation de l'Homo-Sapiens, si jamais nous pouvons espérer regagner sa valeur de survie.

Après la difficulté linguistique, nous trouvons une difficulté philosophique, à savoir le désaccord entre différentes conceptions de l'intégration. Parfois, c'est le caractère qui doit être intégré, parfois les relations intra-personnelles, parfois les instincts et, dans la plupart des cas, l'esprit inconscient et conscient. On aspire souvent, à une combinaison de plusieurs aspects mais on regarde ou planifie rarement une réelle et complète intégration.

Le troisième point à mentionner est la question sociologique : pouvons-nous interrompre le cercle vicieux dans lequel l'homme de culture se trouve lui-même ? Est-ce qu'une personnalité réellement intégrée peut fonctionner dans une société dissociée ? Si nous déclarons l'ajustement à l'environnement comme étant le but de la psychothérapie et si nous mettons l'accent sur l'importance de la sécurité, ne devons-nous pas nous attendre à ce que la personnalité Unitaire, comme phénomène étrange, affronte une hostilité et perde la sécurité qu'une attitude conforme lui donnerait ? Je ne pense pas que nous puissions trancher sur cette question maintenant. Toutefois, l'intérêt pour la psychiatrie pousse actuellement de façon spectaculaire aux U.S.A. et montre l'étendue de la conscience de la névrose et de l'intuition collective selon laquelle quelque chose ne va pas dans l'état du Danemark. Les concepts unitaires se développent et certaines personnes clés, comme le général CHISHOLM, ont réalisé que la valeur de survie de l'humanité est en jeu, et que le cercle vicieux peut être brisé. En attendant, nous ne pouvons rien faire d'autre que de produire des personnalités unitaires désireuses de vivre dangereusement et en insécurité mais avec sincérité et spontanéité.

Après ce que je viens de dire, j'espère qu'il est maintenant clair que la conception inconsciente ou consciente de tout traitement est dictée par la weltanschaung du thérapeute. Peut-être pouvons nous classer en deux groupes, l'un qui gêne la formation biologique figure-fond, l'autre qui la facilite. Le premier réduit la prise de conscience et l'expression de soi, l'autre la favorise ; le premier favorise l'intentionnel, l'autre la spontanéité. Un homme souffrant d'impuissance sexuelle allait voir COUE... cet exemple est typique de tout ce qui a été mentionné à propos du premier groupe. Cela n'est pas différent de la méthode du médecin qui prescrit des barbituriques contre l'insomnie. Le médecin ne réalise pas que l'insomnie est une tentative de l'organisme de s'occuper de problèmes inachevés, d'émotions inexprimées ou d'autres situations non résolues. Il empêche le problème en question de venir à l'avant-plan en prescrivant des somnifères, qui sont un moyen très puissant de diminuer la prise de conscience, et il perpétue ainsi une situation que l'organisme dans sa sagesse infinie essaye de résoudre.

Le deuxième groupe, celui auquel nous appartenons vous et moi, veut favoriser la formation naturelle figure-fond. Pour ceux d'entre vous qui sont conditionnés à penser en termes d'un organisme fait d'un certain nombre de particules, comme les associations, l'approche donnée par la Gestalt psychologie peut poser un certain nombre de difficultés. Par conséquent, j'expliquerai brièvement la relation que la formation figure-fond entretient avec les systèmes d'orientation et manipulation, et avec la dissociation et la psychothérapie.

Commençons par mon exemple favori. Un soldat, en patrouille dans le désert, après des jours de lutte et de marche sous le soleil brûlant, retourne au camp. Son premier mot est : «De l'eau», ou, s'il a assez de forces il s'approchera, conscient de rien d'autre, de la fontaine. Une heure plus tard, il sera étonné de voir son meilleur ami offensé de ne pas avoir été félicité pour sa promotion. Or l'ami s'était vanté de cela au soldat dès son retour.

Notre soldat a, durant sa marche dans le désert, perdu une certaine quantité d'eau (le médecin dirait qu'il est déshydraté), son équilibre organismique sera perturbé jusqu'à ce qu'il ait repris une quantité suffisante de ce liquide. Son système sensoriel lui fournit une orientation double, l'une interne qui est la sensation de soif et l'émotion d'une grande envie, l'autre externe. Le monde autour de lui devient sans intérêt sauf pour tout ce qui peut concerner sa soif.

Seuls un ruisseau ou une bouteille de bière ou quelque chose de semblable parviennent à exister, c'est-à-dire : provoque son intérêt, devient la figure, le reste est un arrière-fond estompé. La remarque enthousiaste de son ami n'a pas existé pour lui, il l'a en fait entendu aussi faiblement que vous recevez les sons d'une cloche dont vous aviez conscience avant d'être absorbé dans un livre. Il l'avait tellement refoulé dans l'arrière-fond que cela n'existait pas pour lui. A l'arrivée, notre soldat manipule le monde selon ses besoins ; il marche vers la fontaine, éliminant de ce fait son besoin par assouvissement, ou bien il communique son besoin par des gestes ou en parlant. Cependant, après que son équilibre organismique est rétabli, son intérêt est libre pour d'autres activités et la promotion de son ami peut devenir une figure, c'est-à-dire que cela peut devenir une réalité, cela peut arriver à exister.

Sur votre appareil photo, vous avez un viseur. Ce viseur, à l'opposé de l'ancienne lunette directe et encombrante d'observation par verre dépoli, facilite considérablement la prise de photos. L'organisme humain a un système correspondant à sa disposition, il a ce que l'on appelle un esprit ou plutôt, différentes strates de l'esprit parmi lesquelles la strate sensori-motrice qui est la plus primitive. S'il n'y a pas d'environnement présent qui, selon la fonction figure/fond puisse devenir réalité, nous visualisons, rêvassons, rêvons, ou même hallucinons de façon archaïque la situation nécessaire à la satisfaction de nos besoins. Il est clair qu'une telle situation correspond à ce que FREUD nomme la «pensée désirante». Mais les systèmes mentaux développés plus tard nous fournissent de meilleurs moyens d'orientation que l'esprit sensori-moteur qui est un indicateur simple, quoique souvent valable, et concret de nos besoins. Le système le plus perfectionné de l'esprit qui inclut beaucoup de fonctions généralement connues comme la pensée, est une combinaison d'orientation et de manipulation à petites doses. Il sélectionne, rejette, unit, il évoque les expériences passées, en bref il fait ce que votre école a reconnu comme étant la fonction du rêve. Il essaye des solutions pour les situations inachevées.

J'ai appelé ce processus «cycle instinctuel». Ce cycle instinctuel implique une cause et un but. La cause est la perturbation (par exemple la déshydratation) qui désorganise l'équilibre organismique, et le but est le retour de cet équilibre. Le maillon reliant la cause et l'accomplissement sont la formation figure/fond, les tensions ou les pulsions -dans notre exemple la soif- l'intelligence, l'efficacité et le caractère. L'intelligence est le fonctionnement approprié de l'orientation, de l'efficacité qu'est le système moteur. Ils forment ensemble le pattern de comportement qui finalement s'intègre dans le caractère5 et la personnalité.

J'ai décrit le travail de l'organisme comme s'il était essentiellement spontané avec peu de place laissée pour l'activité délibérée, par exemple la planification. On doit insister sur le fait qu'à ce stade l'activité délibérée travaille harmonieusement au service de l'organisme, renforçant et ne détruisant pas sa valeur de survie.

Les représentations changent avec l'aculturation. Ce sont les dirigeants privilégiés et les autres facteurs sociaux qui introduisent les tabous et les commandements. Le moralisme monte sur le trône, la volonté est glorifiée et l'action délibérée demandée. Mais cette activité délibérée est essentiellement une façon de dire «non» à beaucoup de cycles instinctuels, attaquant la fonction biologique de l'homme, le dégénérant et finalement aboutissant au processus dont nous avons le plaisir douteux d'être les témoins, c'est-à-dire la perte rapide de la valeur de survie de l'homme. Ce n'est que trop clairement montré par les courbes en augmentation rapide des maladies mentales et psychosomatiques et le besoin de réassurance qui se répand, la demande de toujours plus de sécurité. Avec une orientation aussi sombre, que peut-on faire ? Pouvons-nous arrêter ou même renverser le cercle vicieux ?

Le fait que les U.S.A. se psychiatrisent est à la fois un espoir et un danger. Dans cet état d'urgence, les analyses de plusieurs années sont un luxe, et la thérapie brève ne crée pas de personnalités intégrées, seules peuvant garantir la survie de l'humanité.

Le gouvernement américain commence à élaborer, jusqu'ici plutôt chaotiquement, un plan d'attaque des désordres de la personnalité, et en ce qui concerne l'éducation et la thérapie groupale, un certain travail valable a commencé dans le champ de l'hygiène mentale. Mais qu'en est-il du traitement de la situation ?

Comme beaucoup d'autres, j'ai essayé de trouver une méthode afin de raccourcir le temps nécessaire à une psychanalyse, en gardant tout le temps à l'esprit que je ne dois pas sacrifier la précision, mais que je peux peut-être augmenter l'efficacité. Mes propres expériences avec l'école freudienne et les nombreuses années perdues m'ont appris comment éviter beaucoup d'erreurs. Mais cela n'était pas assez. J'ai vu l'analyse classique à la lumière de la première machine encombrante et maladroitement électrique, et j'ai vu que l'on pouvait simplifier la méthode psychothérapique. J'ai obtenu plus d'orientation de la part des courants de pensée que sont la Gestalt-psychologie et la sémantique. Finalement j'en suis venu à une théorie ridiculement simple : si le névrosé est une personnalité dissociée, on a simplement à rassembler toutes les parties dissociées de la personnalité et à les réintégrer. J'ai dû écarter la théorie de la libido à cause de son imprécision et de son incohérence ; je ne pouvais pas l'accepter en tant que ciment susceptible de coller les parties dissociées entre elles. Aussi ai-je laissé l'instinct de mort se charger de la libido, m'éloignant de mon culte pour les dieux Eros et Thanatos et j'ai essayé de trouver de nouvelles directions. L'Homme est en continuité avec la nature et obéit donc aux lois de la nature. La physique moderne a découvert que les énergies isolées n'exitent pas mais qu'elles sont des fonctions de la matière. Aussi je cherche des fonctions et non des énergies. Je crois avoir réussi dans ma quête. L'intégration s'est trouvée être largement un moyen d'assimilation et de contact, et l'agression une fonction de manipulation surtout au service des besoins alimentaires. Les pensées, les symptômes, les souvenirs, les habitudes étaient des processus biologiques. Avec ce nouveau regard, je suis parvenu à accomplir beaucoup d'intégration à l'intérieur de moi-même. A partir de là, la route était alors facile parce que c'est une chose importante que d'être un individu intégré, unitaire, c'est-à-dire que l'intégration facilite son propre développement tout comme la dissociation arrête ou même renverse le développement individuel.

Ce résultat nous donne une indication claire sur la question de savoir quand finir un traitement psychanalytique. Dès que le patient a accompli cette intégration qui facilite son propre développement, nous pouvons le laisser sans danger à lui-même. Nous pouvons peut-être aussi utiliser ce critère comme une maxime pour l'éducation de l'enfant et à titre d'essai dire : l'enfant ne veut pas d'affection, il déteste même être étouffé par elle. L'enfant veut une facilitation, c'est-à-dire une opportunité et une assistance pour son développement.

Maintenant, vous vous attendez probablement à ce que je donne plus de détails sur les directions, point sur lequel ma conception de la personnalité humaine diffère des autres concepts psychanalytiques. Malheureusement, je dois vous décevoir.Un récit détaillé, allant plus loin que ce qui découle de ce que j'ai énoncé précédemment, prendrait plusieurs heures, et j'ai peur d'avoir déjà abusé suffisamment de votre patience. Cependant, j'aimerais dire quelques mots sur l'application pratique de ces idées.

Fondamentalement, j'applique une méthode symétrique (tirer-pousser). Je donne des exercices d'intégration à mes patients selon la nature et la gravité de leur dissociation. Je sais très bien qu'ils ne peuvent pas faire ces exercices d'une manière efficace, aussi nous analysons à mesure les difficultés ou les résistances, pas à pas.

Sur la question des jalons, je ne m'écarte pas beaucoup des autres psychothérapeutes. Le freudien pense que la névrose est le résultat d'une amnésie de l'enfance, et son projet sera de rendre consciente toute l'enfance et il se mettra à la recherche avec son «outil» de libres dissociations ou de fuite des idées. Un autre cherchera les incohérences dans la formation du caractère, oubliant le substratum biologique, et traitera le caractère comme quelque chose d'isolé de l'organisme considéré comme un tout, quelque chose de semblable au concept religieux de l'âme. S'il est adlérien, il insufflera de la confiance en soi au patient, augmentant le niveau de son assurance. S'il croit en des influences externes, il appliquera des suggestions ; s'il situe le noeud au niveau de l'orgone, il libèrera les énergies végétatives et posera comme objectif l'orgasme parfait ; si les blocages sémantiques sont bouc-émissaire, il emploiera pour soigner le «différentiel structural» .

Je crois que mon concept, du fait qu'il considère l'organisme comme un tout, est plus vaste et par conséquent plus efficace dans l'ensemble que les méthodes déjà mentionnées, et en dehors des approches de REICH et de KORZYBSKI, plus méthodique. Comme ma théorie suppose que les fonctions basiques humaines sont l'orientation et la manipulation, toute influence avec les cycles instinctuels biologiques maintiendra la dissociation spécifique, en diminuant la prise de conscience ou en perturbant l'usage libre du système moteur. Nos patients sont soit désensibilisés, soit maladroits, soit les deux.

Le fait que l'on puisse obtenir des résultats avec la psychothérapie, si tant est que l'on en obtienne, s'explique par un facteur très important : on peut lire beaucoup de choses sur le refoulement des instincts. Une telle hypothèse est fausse. Les instincts ne peuvent probablement jamais être refoulés. Cela entraînerait un changement de constitution. Ce qui peut être refoulé c'est leur expression et leur satisfaction. La formation figure/fond peut être génée par le changement forcé de notre attention, la reconnaissance de nos besoins peut être gênée par un masquage de la prise de conscience, par exemple au moyen d'une amnésie, d'une scotomisation, d'une frigidité, d'un blocage sémantique, etc. L'expression et la satisfaction peuvent être entravées par les blocages linguistiques et moteurs tels que la paralysie et, plus souvent, par les spasmes musculaires.

Pour résoudre ces interférences pathologiques, je me fie aux descriptions détaillées du patient et de ses expériences et à ma propre observation, et j'essaye d'utiliser aussi peu que possible la construction et le travail de devinettes, comme par exemple l'interprétation, et de coller à la réalité de la situation analytique.

Pour FREUD, le principe de réalité signifiait un ajustement sensible à la société. FREUD, comme cela a été relevé à plusieurs reprises, spécialement par les membres de ce groupe, avait une vue trop rigide de la société en général et ne faisait pas suffisamment attention à la diversité de l'environnement individuel en particulier.

Pour moi la réalité, c'est ce qui est présent. Le passé n'existe plus et le futur n'existe pas encore. FREUD avec son insistance à la fois sur les causes et le passé, et ADLER avec son insistance sur le futur, manquent l'équilibre du temps présent.

Il y a à peu près un mois, j'ai eu une expérience qui m'a marqué. Après avoir suivi des années de traitement psychanalytique, d'abord avec un analyste renommé puis après avec un autre analyste de l'école classique, une femme vint me voir en plutôt mauvais état. Comme elle narrait son histoire, elle bougea soudainement deux fois comme si elle faisait l'expérience d'une peur intense. Les deux fois, cela arriva quand elle osa émettre quelques doutes. Je lui ai demandé ce que son analyste avait dit au sujet de ces mouvements brusques. Sa réponse fut : «Il ne les a jamais remarqués». Cependant, si j'avais à entreprendre ces analystes sur leur procédure, ils maintiendraient que, bien-sûr, ils commencent avec la situation présente. Peut-être le font-ils. Si j'avais une miette de pain pour le petit déjeuner, je pourrais dire que j'ai mangé quelque chose. Je dois ajouter qu'elle s'est rapidement remise de sa psychanalyse.

Pour que le premier pas vers l'intégration se fasse , je plaide en faveur du réveil du sens de l'actualité ou de la réalité de l'expérience du soi et du monde. Le névrosé a un contact diminué avec la réalité. En plus de l'évitement de la compagnie des autres et de la fuite dans l'intellectualisme, nous trouvons fréquemment la fuite dans le passé, la recherche de soi-disant causes et explications et autres évitements de responsabilité, ou bien nous trouvons le saut dans le futur, par exemple par des rêveries ou des attentes de récompenses du ciel, le miel de l'autre monde.

Un de mes patients passa la première année et demie de son traitement, à parler à son analyste de sa femme difficile, de ses amis décevants et de ses difficultés au travail. Il était lié et soumis à ces différentes personnes et apportait beaucoup de matériel. La situation présente cependant, c'est-à-dire la situation psychanalytique, avait une signification spécifique. Comme il se plaignait à moi de ces personnes, je lui fis écouter sa voix plaintive et nous avons discuté sur le fait qu'il évitait de «s'attaquer» à ces différentes personnes, ce qui aurait voulu dire avoir un contact personnel avec eux et qu'au lieu de cela, il se plaignait toujours à quelqu'un à propos d'une autre personne.

J'aime souvent commencer par un exercice pédant : je demande au patient de commencer chaque phrase par le mot «maintenant» ou même par «ici et maintenant», comme : «maintenant je suis allongé sur un divan, maintenant je ne sais pas quoi dire, maintenant je sens mon coeur battre, maintenant je pense à la querelle que j'ai eue hier avec ma femme». Dans les dernières remarques, la connexion entre son expérience de la montée d'une légère anxiété et son discours sur la relation avec sa femme est manifeste. Souvent, cependant, le patient s'échappera de l'expérience du présent. Il ira dans le passé ou le futur, surtout s'il a eu une pratique de la méthode freudienne dans le premier cas ou adlérienne dans le deuxième. Je maintiens que le passé n'a de signification que dans la mesure où il contient des situations inachevées, par exemple des expériences non digérées. La pensée futuriste devient aussi pathologique si, au lieu d'être conscient des déficiences actuelles, le patient se drogue avec des «si» et autres formes de rêveries. Nous rêvons toujours dans le temps présent, nous appréhendons le rêve comme la réalité. La reconnaissance de ce phénomène est souvent appliquée en hypnose en faisant retourner le patient en arrière à un endroit et une époque du passé comme s'il voyageait dans une machine à remonter le temps. Une telle procédure peut être utilisée sans aucune complication hypnotique. Essayez-la sur vous. Revenez à un endroit de votre enfance et décrivez simplement avec beaucoup de détails ce que vous visualisez alors. Vous serez étonné de la quantité de matériel que vous retrouverez.

Quand le patient a saisi le concept du «maintenant» je laisse tomber le mot «maintenant» et je l'informe de ma formulation de la règle de base : il doit m'informer de toutes choses qu'il fait et qu'il appréhende intellectuellement, émotionnellement et physiquement de façon à ce qu'il ne retienne rien délibérément, ni qu'il se force à dire quelque chose qu'il déteste exprimer. Il devra simplement indiquer qu'il y a quelque chose qu'il ne veut pas ou ne peut pas révéler.

Comme vous le voyez, la dernière partie de cette règle de base permet de se confronter à la censure et de discuter les différentes formes de résistances émotionnelles, comme l'embarras, la peur, le dégoût, la politesse, etc...

La première partie de cette règle, autant que je puisse voir, est vaste surtout si vous vous souvenez que l'acte de penser est orientation et manipulation à petite échelle et que c'est une action invisible. A cette étape, le phénomène qui consiste à recourir au passé ou au futur, accompagné d'une perte de référence au présent, donne une bonne indication de l'étendue de ce que le patient veut ou de sa capacité de coopération. Le modèle général de sa relation interpersonnelle survient rapidement dans la situation analytique. Il sera servilement obéissant ou se moquera de la procédure, il sera coopérant en surface mais il poussera la règle jusqu'à l'absurde au lieu de se conformer à elle. Cependant, quand il aura eu des expériences qui l'auront secoué en son centre, alors sa non conformité indiquera une résistance considérable qu'il apprendra lentement à reconnaître.

Je vais vous rapporter brièvement deux cas qui démontrent les cas extrêmes en matière de coopération.

Il s'agit tout d'abord d'une femme, d'une quarantaine d'années, travailleur social dont l'ambition est de devenir psychanalyste. Elle parle un langage ampoulé avec des termes techniques qui remplacent le contenu. Elle est d'un genre ordinaire mais est sujette au «délire» d'être une femme née pour de hauts desseins dans la vie. Pendant un long temps, je ne pus rien faire hormis essayer obstinément de la persuader à entreprendre l'exercice de base. Elle insistait sur le fait que ce serait une perte de temps, qu'elle s'ennuierait ou elle énumèrerait le contenu de la pièce. Elle ne sentait rien en dehors d'un battement de coeur occasionnel. En d'autres termes, elle était si profondément désensibilisée et intellectualisée qu'on pourrait appeler sa démence «intelligence verbeuse». Un jour cependant, c'était la 14 ème heure avec moi, elle arriva avec un cahier sur lequel elle avait noté des prescriptions selon lesquelles je devrais conduire l'analyse. Quand elle s'allongeait sur le divan, elle le faisait toujours dans une position fermée, mais ce jour-là elle s'ouvrit un peu, et après un certain temps, elle devient très agitée et même en prit conscience. Finalement, elle éclata en sanglots et dit : «je me sens comme un bateau qui est balloté par tout le monde. Il faut que je garde ma supériorité, sinon je suis perdue.» Ce premier bond en avant a nécessité 14 heures, cependant en tant que percée, il ne signifia pas grand chose. Au contraire, elle devint même plus difficile et fut sur le point d'abandonner.

Comme je n'ai pas l'habitude de blâmer un patient et de le rendre responsable de ses résistances, j'ai cherché ma propre déficience et j'ai trouvé les faits suivants : j'étais touché personnellement par son cas. Elle mettait en jeu ma fierté, elle représentait un test pour savoir si j'étais capable ou non de prendre en main ce type de cas difficile. Cela signifiait que j'avais perdu l'objectivité analytique et avais fait d'elle un outil de mon ambition. Au lieu d'avoir affaire au présent seulement, j'avais été entrainé dans une pensée futuriste ou intentionnelle. J'ai ensuite noté ceci: quand elle avait émis ses suggestions, j'avais senti de la colère : c'est cette petite femme de rien du tout qui voulait me dire comment m'y prendre pour travailler. Cette colère était une indication qu'elle devait avoir raison d'une certaine façon. Elle pouvait m'enseigner quelque chose et le faisait : c'est-à-dire que j'étais sorti de ma propre théorie, qu'au lieu de regarder la réalité de son symptôme, de son besoin d'avoir le dessus, j'avais réagi à cela. Alors je l'ai laissée vivre son besoin de faire des suggestions et d'exiger quelque chose des gens. Cela finalement se cristallisa dans sa demande d'être acceptée sans aucune condition. Je lui expliquais alors qu'elle désirait être acceptée mais qu'elle ne voulait ni m'accepter ni accepter ma propre façon de faire avec elle et surtout qu'elle ne voulait pas accepter ses propres émotions. Elle commence alors à accepter de prendre conscience de son conflit névrotique, de sa lutte entre la façade artificielle et le soi émotionnel dont elle a peur.

Le cas opposé en est à cinq heures de séance jusqu'ici. Il s'agit d'un étudiant en philosophie qui était réputé schizoïde. Il vint en analyse parce que la vie avait perdu de sa saveur, il ne pouvait plus se concentrer et il avait des pensées de suicide. Il était homosexuel mais sans le vivre. Du point de vue de la philosophie, il était intéressé par l'approche aristotélicienne, mais récemment il en était venu à

s'intéresser à HUSSERL et quelque peu aussi à l'école existentialiste française.

Comme mon approche a à voir avec la phénoménologie de HUSSERL, il n'a eu aucune difficulté à saisir le sens de mon approche et après la première demi-heure, je pouvais introduire l'étape suivante, celle qui s'occupe des processus. Tandis qu'au début il suffit pour le patient de réaliser que quelque chose «est» (entre guillemets), plus tard, il doit réaliser que quelque chose se poursuit, ou plutôt continue encore et encore. Il doit prendre connaissance du fait que ses expériences, son comportement, ses symptômes, ses pensées, etc. , sont des processus ou des événements spatio-temporels. Ils ont une durée. Il doit apprendre à se concentrer sur son symptôme, à suivre le développement qui prend place quand il est en contact avec le symptôme, quand celui-ci est resensibilisé, remobilisé.

Voici une partie de la 3ème heure. Il raconte : «Le devant de ma tête me fait mal, ma bouche est sèche, ma tête veut reculer dans l'oreiller. Maintenant, j'ai du mal à respirer, je me vois descendre la rue en courant. Une voiture se rue sur moi, mais ne me touche pas. Je ne sais pas si cela à réellement eu lieu. Mes genoux sont très lourds, mes yeux veulent se fermer c'est comme si je voulais pleurer mais je ne peux pas. Je n'ai pas pleuré depuis 6 ans». Ensuite, il se met à parler de son père qui a été renversé par une voiture et tué. Il relate cela, les détails de l'accident et de la mort d'une voix prosaïque. Cependant, à cet instant il visualise le cercueil et éclate dans un sanglot violent, intense et sincère.

Ce patient-là a un syndrome que l'on peut mieux aborder par des exercices à la maison. Ces exercices faits à la maison sont un facteur important pour raccourcir la durée du traitement. Bien que l'analyse classique demande que le patient se soumette seulement à l'analyse et arrête de faire des choses, l'analyste freudien accueillera avec bienveillance les trouvailles que le patient fera sur lui-même ou, comme dans le cas de l'agoraphobie, ses tentatives pour traverser la rue. Alors pourquoi ne pas planifier et organiser la coopération du patient, ou dans le cas d'un sabotage inconscient ou d'une activité factice compulsive, utiliser cela pour la mobilisation de la prise de conscience de sa résistance.

Notre étudiant en philosophie a perdu le contact avec l'environnement et le goût pour celui-ci. Autant que je sache, cela va toujours de pair avec un palais mort. Il aime manger seulement quand il a préparé quelque chose pour une autre personne et que l'autre aime cela. Dans un cas comme celui-ci, je donne des exercices qui concernent l'alimentation, en commençant par des observations sur l'intensité de l'attention que le patient donne à son «acte de manger». Est-ce qu'il lit ou rêvasse durant le repas ? Est-ce qu'il avale sa nourriture à grosses bouchées, en d'autres termes, boit-il même la nourriture solide ?

Après la 5ème séance, il a déjà commencé à goûter sa nourriture et parallèlement la vie a commencé à redevenir intéressante. Il commence à aller ça et là et renoue un contact avec des amis. Bien que globalement il soit encore très fermé dans son discours, un certain relâchement de sa vie émotionnelle, un léger sourire par exemple, peut être déjà perçu.

Si un patient a désensibilisé sa visualisation, si au lieu d'avoir dans son esprit des images, il n'a que des mots, j'essaye de développer son intérêt à faire attention à son environnement au lieu de simplement s'en abstraire. En même temps, j'essaye de dissoudre la réticence à affronter le monde et qu'il s'en forge une impression.

La patiente que j'ai mentionnée plus haut a un blocage complet quant à la visualisation. Actuellement, il n'est pas encore question de s'embarquer dans de telles tâches tant qu'elle s'intéresse seulement à la question de savoir comment le monde la regarde.

Un enseignant très intelligent et consciencieux est venu en analyse pour impuissance sexuelle. Il se mit rapidement à la technique de concentration. Après plusieurs séances, il s'agita sur le divan d'une façon particulière qu'il reconnût comme une lutte qu'il avait eu avec sa mère quand il avait 9 ans, elle le forçait à rester couché pendant qu'elle enlevait des «vers» de ses organes génitaux. Dans les séances suivantes, ses mouvements changèrent et nous en suivions l'évolution en les interprétant. Cependant, le fait qu'il interprétait si facilement et qu'il connaissait bien le travail de REICH me rendit soupçonneux. Peut-être vivait-il dans l'attente d'une analyse reichienne. Je ne voulais pas non plus donner si rapidement mon opinion sur l'importance décisive de la situation actuelle. Finalement, il produisit un symptôme de nervosité qui ne cédait pas et qu'il ne pouvait pas pour la première fois interpréter lui-même. Il ne pouvait pas s'allonger sur le divan. Il gardait une ou même les deux épaules hors de la couverture. Cela ressemblait pour moi à une position de lutte. Il confirma cette impression. Il se rappela une lutte où il avait résisté de la même manière. Le symptôme, ou plutôt le langage de son corps, persista jusqu'à ce que je lui demande si, à tout hasard, cela symbolisait son attitude envers moi. Alors il lâcha prise. Nous avions eu une discussion quelques temps auparavant sur la psychologie expérimentale et pour rien au monde il n'aurait voulu se soumettre à mon point de vue. Après ma question : «Ne pouvons-nous pas être d'accord sur le fait que nous sommess en désaccord?», il se calma et pour la première fois, s'installa confortablement.

Dans la majorité des cas, l'attaque directe de la désensibilisation et l'immobilisation n'entraîne aucune difficulté. Au contraire, les patients réalisent bientôt que quelque chose est en train de se passer ; ils voient les symptômes douloureux et inconfortables disparaître ou plutôt changer pour un sentiment de bien-être. Dans tous les cas, un certain contact avec le soi a survécu malgré une maîtrise d'eux-mêmes rigide.

Cependant, il existe au moins trois cas qui nécessitent des travaux préliminaires d'une intense analyse caractérielle avant que l'on puisse tenter l'analyse phénoménologique. Pour ces cas, on trouve un mépris profondément installé de leur personnalité spontané, un rejet de ce qui «est» et une glorification de «ce qui devrait être». Ces personnes convoitent des idéaux. Ils ont aliéné leurs propres sentiments et besoins à un point tel qu'en aucune circonstance ils ne doivent reconnaître et encore moins accepter leur soi.

A côté du premier type mentionné plus haut, il existe la personnalité «comme si» pour utiliser un terme créé par Hélène DEUTSCH. Les patients de ce type se donnent des rôles et veulent, avec une pseudo-conformité, tromper l'analyste tout comme ils passent leur vie à se bluffer en général. Ils ne laisseront pas échapper leur vraie nature tant qu'ils n'auront pas réalisé le fait qu'ils sont toujours sur scène, qu'ils n'ont pas une armure caractérielle mais une garde-robe pleine de costumes. Cette étape est habituellement accompagnée d'un sentiment de grand vide et d'une recherche de sensation. Il y a un symptôme qui annonce souvent l'existence d'une personnalité «comme si», c'est l'ennui chronique.

Comme vous le savez probablement, l'ennui s'installe quand vous portez délibérément attention à une situation qui ne vous intéresse pas et quand, en même temps, la formation naturelle figure/fond est bloquée. La personnalité «comme si», au lieu de se soumettre à la formation figure/fond, essaye de vaincre l'ennui par une addiction croissante à des émotions fortes et parfois à des drogues.

Un autre type qui procure de grandes difficultés initiales, c'est l'un des types obsessionnels. Je ne me réfère pas au type consciencieux, systématisant, peut-être sur-systématisant laborieusement. Celui-ci est amplement coopératif. Mais il y a un autre caractère obsessionnel qui est surtout conscient de la peur du ridicule. Il s'adonne à des activités fausses et non constructives dans son esprit aussi bien que dans sa vie. Il est toujours sérieux mais jamais sincère. Avec lui, la difficulté initiale consiste à le rendre conscient du fait qu'il a un but : accumuler des triomphes secrets. Il poussera vos demandes à l'absurde, discutera pendant des heures, vous frustrera et démontrera que vous êtes un idiot impuissant, incapable d'avoir affaire à un type aussi intelligent que lui. Mais il a projeté son ridicule et imagine que les autres veulent le rendre ridicule. Il omet de réaliser qu'il est de loin celui qui ridiculise tout le monde. Ce n'est que quand il pourra réaliser combien il est ridicule de passer sa vie avec le sens du ridicule qu'il pourra se mettre à un travail et une coopération sincères.

Peut-être peut-on aussi inclure dans cette catégorie un cas qui est souvent remarqué par la contribution de valeur qu'il apporte à la société. Il s'agit d'une personne qui veut toujours justifier son existence. Vous savez qu'un homme qui doit prouver sa puissance sexuelle n'est pas très sûr de lui-même. Vous trouvez une structure similaire chez une personne qui ressent le besoin de justifier son existence. Elle n'existe pas pleinement. Comme les trois autres catégories énumérées ci-dessus, elle est désensibilisée à un degré tel que les buts intellectuels et sociaux doivent remplacer les pulsions biologiques non senties. Sans ses buts construits, elle se sentirait aussi vide que les autres cas. MARX a dit une fois que l'existence d'un phénomène est la preuve de sa nécessité. Sans la névrose américaine, la psychanalyse mourrait rapidement aux Etats-Unis. De façon similaire, le mouvement philosophique existentialiste français tire sa «raison d'être»6 de la diminution rapide de la conscience que nous avons de nous-même.

L'alcoolisme offre une contribution très intéressante à notre thème. C'est une tentative futile de résoudre le conflit entre l'expression de soi et la désensibilisation. Le fait de boire apporte de l'aide dans la décharge émotionnelle et donc une réduction des tensions insupportables, mais la conscience ou l'idéal, aussi bien que le sentiment d'indignité et de conscience de soi ne sont désensibilisés que temporairement. L'alcoolique comme les autres névrosés, a échoué à livrer son individualité à la société, il ne s'est pas ajusté à l'exigence sociale de devenir un robot de bonne conduite.

Je dois conclure. Je ne peux pas entrer dans les détails de toutes les différentes formes de perturbations de l'orientation et de la manipulation. Je dois passer sur la connexion très intéressante entre l'engourdissement des fonctions alimentaires et le phénomène paranoïde, entre la rétroflexion et le refoulement, entre le développement du moi et la fonction contact, et de beaucoup d'autres événements ayant un rapport avec les perturbations de prise de conscience, mais je peux tracer grossièrement le développement du traitement «moyen».

Dans l'avant-champ, nous trouvons le caractère comme sauvegarde du statu-quo. Après avoir travaillé et résolu la principale résistance caractérielle, le patient apprend à s'expériencier lui-même à nouveau. Le point principal dans cette expérience par lui-même est l'optimum de conscience, la discrimination entre l'introspection pathologique et l'existence accrue. En expérienciant ses processus personnels, il devient conscient de sa division en une personnalité délibérée, répressive et une personnalité spontanée, réprimée. Durant cette période, il s'identifie à la part réprimante qui essaye de se dissocier elle-même par tous les moyens, par exemple par des contractions musculaires, venant de la part inacceptable de sa personnalité. A cette étape, ses relations interpersonnelles sont teintées par ses peurs de ne pas être acceptable pour son environnement. A l'étape suivante, sa maîtrise de soi, ses auto-reproches, son auto-punition ont à être redirigés vers l'environnement, multipliant de cette façon sa possibilité de contact avec ses ennemis et ses amis. Délibérément, il commence à les contrôler, leur faire des reproches, les punir. Cette re-direction le rend capable d'achever beaucoup de conflits qui, par internalisation, étaient devenus permanents. Il change le REproche de lui en APproche objectale. En s'identifiant à tous ses processus, il apprend lentement à accepter sa personnalité spontanée. Avec la disparition de ses conflits internes, il devient suffisamment fort et unifié pour considérer ses opinions comme d'importance égale à celles des autres. Au lieu de vivre avec la peur continuelle d'être rejeté et le besoin d'être accepté, il est maintenant acteur de l'acceptation et du rejet. Il prend juste du monde autant qu'il le veut et qu'il est capable d'assimiler pour son développement futur. Alors que pendant la période de pré-traitement il avait accepté et rejeté les gens selon qu'ils étaient bons ou mauvais, il discrimine maintenant les situations et les propriétés, il développe un goût propre et manipule le monde dans le but d'une satisfaction collective optimale. L'intentionnel modifie l'auto-contrôle autoritaire en un auto-maniement et un maniement objectal libéraux.

J'espère avoir été capable de montrer que la névrose est une recherche non biologique pour résoudre les problèmes sociaux de l'homme. Elle agit dans le cadre de cette phrase biblique : «Si ton oeil te fait mal, arrache-le». Il en résulte une personnalité limitée au lieu d'une personnalité entière.

La réintégration des parties dissociées de la personnalité est mieux comprise en re-sensibilisant et en re-mobilisant le système d'orientation et manipulation. Autant que je puisse voir, ce système est vaste. En faisant l'expérience de ses symptômes, etc, comme processus, le patient acquiert la conscience immédiate et le contrôle conscient nécessaires à son ajustement sémantique et social, c'est-à-dire la compréhension de ses besoins personnels et la manipulation de son environnement. Ces processus ont pris place effectivement et doivent être alors traités au présent comme le point d'équilibre entre le passé et le futur. La ré-organisation de la personnalité consiste à la fois en un processus de désintégration et d'intégration et doit être équilibré de telle sorte que ne soit libérée qu'une certaine quantité de matériel dissocié à mesure que le patient est capable de l'assimiler. Sinon sa fonction sociale ou même biologique pourrait être dangereusement bouleversée.

Le processus analytique désintégrateur se rapporte à l'orientation infantile et irrationnelle, à la manipulation non économique et rigide et aux blocages émotionnels et sémantiques. Les processus intégrateurs sont la reconnaissance et l'assimilation du traumatisme du matériel introjeté et projeté des fonctions de contact et de l'expression de soi émotionnellement et sémantiquement appropriés.

Dès que la structure de la névrose est claire pour le thérapeute, celui-ci devrait faire le projet de son moyen d'action mais rester alerte et «élastique» durant tout le traitement.

Je ne veux pas conclure cet article sans mentionner un point de danger : entre les approches d'une seule facette, c'est-à-dire entre le concept purement psychologique de KORZYBSKI, ADLER et F. M. ALEXANDER et Elsa GINDLER ; entre la technique analytique de FREUD et la tentative créatrice de, disons, un professeur de musique; entre la personnalité sexualisée de REICH et la libido désexualisée de JUNG.

Au milieu de toutes ces abstractions sur la personnalité complète, ça laisse assez de place et même le besoin pour ces formes de travail, et même pour beaucoup d'autres. L'autre danger vient de l'éclectisme. Au lieu d'avoir un point de vue vaste, unitaire et un travail bien centré on pourrait sauter d'une méthode à une autre et vice-versa, semant la confusion et produisant simplement un type différent de personnalité dissociée.

La sauvegarde contre un tel danger réside dans le concept de l'expérience de la personnalité humaine comme un tout indivisible et comme toujours enchâssée dans et en relation à un champ environnemental personnel et social. Comme votre société part justement de cette hypothèse, le danger de succomber à un tel éclectisme est mince. Au contraire, si je peux me permettre une suggestion, je recommande certains aspects complémentaires nécessaires pour l'étude de la personnalité humaine, au moins sur trois thèmes : la Gestalt psychologie, la sémantique et le dernier mais non le moindre, l'approche de l'école de GINDLER.7

Enfin, je voudrais faire quelques remarques personnelles : je voudrais vous exprimer ma gratitude de m'avoir donné l'opportunité d'exprimer mon point de vue.

Après plusieurs années de lutte personnelle en Afrique avec les idées freudiennes8, je suis parvenu à quelques conclusions. Bien que FREUD ait été le Livingstone de l'inconscient, la carte qu'il a tracée est déjà devenue désuette. Elle ne représente plus un vrai moyen de se diriger, elle doit être redessinée. Je crois avoir trouvé quelques points pertinents d'orientation, mais beaucoup de blancs (par exemple, ce qui constitue la conscience) restent encore. Aussi, j'en suis arrivé là où mon dessin pourrait être vérifié et où je pourrais peut-être remplir quelques blancs. Comme le centre de gravité de la science s'est déplacé vers les U.S.A., votre pays était l'objectif évident. En Afrique du Sud, j'étais considéré comme un rebelle mégalomane pour oser contredire les mots du maître. Au Canada, un fou pour douter du sacro-saint arc-réflexe. A New-Haven, un chien égaré pour vouloir faire des psychothérapies sans licence médicale, et en plus, sans appartenir à un groupe établi. A New-York, un pur lunatique pour avoir abandonné une position de sécurité économique. Je devais avoir quelque chose qui n'allait pas ou bien, je devais avoir une motivation secrète. Bien-sûr, je comprends, je ne peux pas attaquer les racines d'une croyance de quelqu'un et en même temps m'attendre à être accepté, mais je savais que je n'étais pas simplement destructeur mais aussi constructeur et instructeur. Me méprenais-je complètement ou étaient-ils tous aveugles ? Alors un miracle m'est arrivé. Il y a quelques mois, j'ai été profondément touché comme je l'ai été rarement dans ma vie. Après tout, il y avait des gens sur cette terre qui voyaient le monde comme moi, qui parlaient un langage semblable au mien. C'était comme un rêve, sûrement trop beau pour être vrai. J'étais comme un marin qui savait qu'il faisait bonne route mais qui devenait las comme s'il n'allait plus jamais voir la terre et soudain, de façon inattendue, elle était là. Mais ce n'était pas tout, cela ne doit pas être tout. La grande marée de la désintégration humaine, du suicide de l'espèce humaine arrive. Des digues doivent être construites. Pouvons-nous les faire ensemble ? Est-ce que l'espoir que cela n'est pas trop tard peut se transformer en possibilité ?

FREUD a commencé avec la névrose comme un cas exceptionnel parmi un environnement sain. Je crois cependant que la névrose est devenue un vaste phénomène social. Aussi la question que j'ai à élaborer devant vous est celle-ci: est-ce que le temps est venu d'attaquer la maladie sociale sur une échelle différente de notre approche actuelle fragmentaire ? Peut-on ou doit-on planifier la psychothérapie sur une grande échelle ? Personnellement je doute que la société et l'administration soient prêtes à voir la sévérité du problème mais j'ai l'impression qu'ils ne sont pas complètement insensibles à l'existence du problème lui-même.

FREUD a seulement vu l'inconfort dans notre culture. SPENGLER a visualisé la ruine de l'Occident. Nous assistons juste maintenant à la désintégration de l'Europe, mais nous sommes aussi témoins d'autre chose. Avant, une culture pouvait achever son cycle et disparaître et il y avait assez de place sur cette terre pour que beaucoup d'autres choses surviennent. Mais le monde est rétréci, chaque nation est entrée dans l'orbite du cycle culturel européo-américain. Aussi la fin de cette culture signifie la fin de toute chose. Le fantasme schizophrénique de weltuntergangs9 , le fantasme de la perte du monde, semble devenir une réalité.

Ce ne fut pas un scientifique mais un poète qui a vu cela le premier. Ce fut D.H. LAUWRENCE qui disait :

«....Connie riait. La pluie s'abattait.

«Il les haïssait !»

«Non, dit-il : il ne les embêtait pas. Simplement il ne les appréciait pas.

Il y a une différence. Parce que, disait-il,

les trouffions se déguisent en collés-montés

et n'ont pas de tripes. C'est le destin de l'humanité

de faire comme cela.»

NOTES

1. consciousness
2. L. Perls : C'était plus la théorie organismique de Kurt GOLDSTEIN et son application spécifique de la Gestalt théorie alors qui était intrinsèque en Gestalt psychologie à cette époque.
3. mot allemand dans le texte : conception du monde, idéologie.
4. L. P. : C'est l'outil de base du psychanalyste. Le gestalt thérapeute peut user de beaucoup d'autres modalités techniques.
5. L. P. : Fritz semble ici avoir oublié la définition de REICH du caractère comme armure musculaire. En termes gestaltistes, le caractère est une gestalt fixée qui devient un blocage dans le développement du processus d'assimilation et d'intégration.
6. En Français dans le texte.
7. L. P. : FRITZ venait de rencontrer Charlotte SELVER et faisait quelques travaux avec elle. J'ai fait du travail selon GINDLER à BERLIN, et avant et après cela, du travail corporel similaire pendant des années. A cette époque FRITZ était encore trop analyste et ne pouvait pas du tout s'intéresser au travail corporel.
8. L. P. : FRITZ n'a pas entièrement «lutté seul». Chaque problème était discuté, pas seulement avec moi mais avec un petit groupe d'études qui se rencontrait fréquemment pendant que nous étions en Afrique du Sud.
9. fin du monde


Pour plus d'informations sur la Gestalt-thérapie en France, les publications en langue française et les "Cahiers de Gestalt-thérapie", nous vous recommandons la visite du site de l'Institut Français de Gestalt-thérapie à : http://www.cyberstation.fr/~gestalt


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